Joël JOUANNEAU

Biographie

"Je me suis dit : tu vas cesser de faire ton important, tu vas écrire pour les enfants et tu seras un heyoka. J’ai alors lancé un signal de fumée à la squaw de mon enfance et j’ai écrit avec elle : « Mamie Ouate en Papoâsie ». Et si j’ai mis un chapeau circonflexe sur le â, c’était pour protéger Mamie Ouate du soleil."

Né en 1946 à Celle, Loir-et-Cher Joël Jouanneau est auteur et metteur en scène.

De 1970 à 1984, il anime une compagnie de théâtre amateur, le Collectif du Grand Luxe, avec laquelle il met en scène Genet, Pinter, Fassbinder, Gombrowicz, Borgès, Artaud. Il se consacre entièrement au théâtre à partir de 1984 et devient le principal collaborateur de Bruno Bayen et de la compagnie Pénélope jusqu’en 1987.

En 1985, il écrit sa première pièce, Nuit d’orage sur Gaza, qu’il met en scène en 1987 à Genève, au Théâtre de Poche. Il écrit ensuite une trilogie sur l’errance et l’utopie : Le Bourrichon, comédie rurale (Prix du syndicat de la critique), Kiki l’Indien, comédie alpine (Prix du jury et du public, au Festival Turbulences de Strasbourg), Mamie Ouate en Papoâsie, comédie insulaire. Suivent Gauche Uppercut, comédie urbaine, en 1991, Le Marin perdu en mer, comédie pirate, en 1992, Allegria Opus 147 (Prix du syndicat de la critique), en 1993, Le Condor, en 1994, etc. Tous ses textes sont édités chez Actes Sud-Papiers, à l’exception de Dernier Rayon, publié à L’Ecole des loisirs, en 1998. Il monte lui-même la majorité de ses textes, entre autres au Théâtre de Poche à Genève, au CDNEJ de Sartrouville, au Festival d’Avignon et au Festival d’Automne, au Théâtre de la Bastille. Kiki l’Indien a été mis en scène par Michel Raskine au Théâtre de Sartrouville en 1989, et Stéphanie Loïk a créé Gauche Uppercut à la Scène nationale de Villeneuve d’Ascq en 1991. En 1991, il reçoit le prix Théâtre SACD.

Depuis 1985, il met régulièrement en scène des auteurs contemporains dont Robert Pinget, Samuel Beckett, Thomas Bernhard, Jean-Luc Lagarce, Normand Chaurette, Yves Ravey, Jacques Rebotier, Jacques Séréna. Il adapte également pour la scène des romans : Les Enfants Tanner, L’Institut Benjamenta de Robert Walser, L’Idiot de Dostoïevski, Les Amantes d’Elfriede Jelinek, Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad.

A partir de 1990 et jusqu’en 2003, il est artiste associé puis codirecteur du Théâtre de Sartrouville. Il participe au collectif pédagogique de l’école du Théâtre National de Strasbourg, de 1992 à 2000.

Depuis 2000, il enseigne au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris.

Joël Jouanneau et le jeune public

Metteur en scène, auteur, Joël Jouanneau ne vient qu’en 1988 à l’écriture et à la mise en scène de pièces adressées aux enfants dont il précise qu’ils peuvent être « petits et grands ».
Mamie Ouate en Papoâsie, comédie insulaire (écrite avec Marie-Claire le Pavec) puis Dernier Rayon sont ainsi publiés et portés à la scène.
Il adapte Shakespeare pour le jeune public avec Le Roi Errant puis investit le théâtre musical et l’opéra pour enfants. Il monte Les trois Jours de la Queue du Dragon de Jacques Rebotier et écrit L’Indien des Neiges mis en musique par Jacques Rebotier. Il est à l’origine de la création d’Heyoka, Centre Dramatique National pour la Jeunesse attaché au Théâtre de Sartrouville dont il assume la co-direction jusqu’en 2003.

Ce qui frappe dans l’écriture de ses textes dits pour enfants c’est qu’ils « oscillent entre deux mots qui comportent chacun trois voyelles : oui, aïe » ; « l’alliage possible du grave et du léger » et qu’ils évoquent les « premières déconvenues de la vie » ou abordent des expériences plus douloureuses comme la séparation et la mort. Nourri de sa propre mémoire d’enfant élevé dans un petit village du centre de la France, son théâtre a un pouvoir évocateur qui invite chacun à « arpenter mentalement sa chambre d’enfant ».

A travers son travail d’auteur, Joël Jouanneau contribue à l’émergence d’un véritable théâtre de répertoire pour la jeunesse. La Scène Nationale Evreux Louviers a donc décidé de lui donner une carte blanche pour sa programmation jeune public au cours de la saison 2003-2004.

Dans ce cadre, il y crée le spectacle L’Adoptée en janvier 2004 dont le texte vient de paraître aux éditions Actes-Sud Papiers. Il écrit Le Marin d’eau douce en 2006 qui est créé au Centre Dramatique de Bretagne à Lorient en mars 2007. A l’automne 2007, il co-signera avec Delphine Lamand la mise en scène de Jojo le Récidiviste de Joseph Danan à Châlons sur Saône.

Vidéo : entretien avec Joel Jouanneau

Lors du stage organisé par l’OCCE en partenariat avec le CNES à la Chartreuse de Villeneuve lès Avignon, Joel Jouanneau a répondu aux questions des stagiaires. Cette vidéo en montre quelques extraits.

(vidéo à intégrer)

Texte "L’enfant à la valise"

« L’enfant n’allait pas très bien. Parlait peu, lisait moins encore. Une valise un jour est arrivée dans sa classe, et à l’intérieur des livres, des livres de théâtre écrits par des grands pour des enfants.

Pourquoi il a ouvert la valise, on ne sait pas, et après pourquoi il a dévoré les livres, avec les yeux s’entend, on ne sait pas non plus.

Et que la mère se soit prise un jour au jeu, et qu’elle ait commencé à lire à haute voix les dialogues avec son enfant, cela m’a-t-elle dit relevait du miracle, elle se connaissait.

Mais ce qui fût plus miraculeux encore, du moins pour moi, est leur décision de lire un texte à voix haute, tous les deux, en public, et j’étais là.

Et que ce texte ait été de moi importait peu, ce qui importait était de savoir que je l’avais écrit pour eux, ce que je ne savais pas et que j’ai compris ce soir là...  »

Joël Jouanneau.

Texte "Un voyage imaginaire"

Portrait de Joël Jouanneau

Comme pour attester que toute naissance est violence, c’est par le canon d’une kalachnikof qu’un enfant de dix ans braque sur lui que Joël Jouanneau nait à l’écriture. Cet enfant-là va le hanter au point qu’en écrivant pour le jeune public, il « poursuit une conversation qui n’a jamais eu lieu ». On le voit, l’envoyé spécial au Liban ne rentre pas indemne de son voyage à Beyrouth. Faisant sienne la remarque de Marguerite Yourcenar « J’ai fait le tour du monde : c’est une petite prison. », il décide de se faire vagabond sédentaire et de témoigner du piteux état de la planète, non plus en journaliste, mais en poète.

L’enfant et l’enfance au creux des fables Après une première pièce « Nuit d’orage sur Gaza », qui tente de « retrouver les ossements de la tragédie antique dans la volence contemporaine », il fourbit des comédies typiques et typées ensemencées de voyages et d’utopies. Dans le Bourrichon, comédie rurale, l’enfance coupée du monde est au coeur d’une histoire dont les héros rêvent de voyages sans jamais partir. Le personnage principal de sa comédie alpine Kiki l’indien, lui, a réellement fait le tour du monde, mais sa tête n’a jamais quitté les Alpes Mancelles. Il était alors question de l’impossible passage à l’âge adulte. Quant à Mamie Ouate en Papôasie, comédie insulaire et troisième volet de la trilogie De l’errance et l’éclat de rire, son voyage est totalement imaginaire. « Les deux personnages sont des enfants qui n’ont jamais quitté la campagne et qui se racontent des histoires en technicolor. Aussi, quand il a été question de l’île Blup-Blup, je la voyais comme celle que je dessinais gamin, un rond jaune avec du bleu autour et un panier dessus. » Vision que le scénographe Jacques Gabel interpréta à sa manière. L’île devint une immense baleine échouée avec des yeux de hublot. Sous un ciel de nuages légers filant entre les ailes d’un oiseau bariolé, Mamie Ouate, liliputienne blanche mâtinée de vieille dame indigne et de tante mariole, aidée de Kadouma, découvrira « Virginia », un énigmatique papillon femelle, au moment même de sa mort et au terme de neuf épisodes. « Pour moi, arriver à dix, c’était entrer dans le système décimal et donc de la logique adulte. M’arrêter à neuf, c’était rester dans le domaine de la déraison, de l’irrationnel, du conte. »

Mamie Ouate en Papôasie, en effet, est un conte philosophique qui parle à la fois de la mort et de la différence dont il faut savoir faire une force et, pour dire qu’ils ont besoin l’un de l’autre, oppose le grand et le petit, le blanc et le noir, l’Occident et l’Afrique.

« J’aime nourrir mes textes et pas seulement ceux pour enfants de l’énergie suscitée par la loi des contraires, comme j’aime à retrouver certains de mes personnages. Mamie Ouate et Kadouma sont de ceux-là. »

Effectivement, lorsque Joël Jouanneau reprend dans ses distributions Mireille Mosssé et Alain Aithnard, il nous indique que les personnages qu’ils incarnent sont les avatars de ceux de Mamie Ouate en Papôasie, avec lesquels il prolonge la conversation. Ainsi en est-il de Perroquet et de Cacatois dans le Marin perdu en mer, de Lili et Yoyo des Dingues de Knoxville, de son aveu la pièce la plus noire. Eux et leurs compagnons de fable, tout comme le fameux Dimitri, colérique-musicien de Allégria opus 147, appartiennent à la race des bourrichonneurs funambulisant sur leurs rêves.